L'Observatoire des ChibAnis et ChibAniyates- مدونة خاصة بالاشخاص المسنين

mercredi 16 avril 2014

La doyenne des artisans sahraouis .




Journée de la femme...Lalla Fatima Oumoussa 87 ans.Tribu des Ma El Aïnine. Doyenne des artisans de la Région, née en 1927 à Tichla, commune rurale à la frontière de l’actuelle Mauritanie.
Bled Al Baïdane, monde des Bédouins …ces âmes d’acier qui résistent à la minéralité du désert et que les chagrins d’amour peuvent tuer...jugez plutôt...
Seule fille d’une nombreuse fratrie de garçons, elle vient au monde en même temps qu’un petit frère jumeau.
Ravissante, des lèvres charnues, des dents comme des gouttes de lait, ses pommettes hautes accompagnent un port on ne peut plus, gracieux. Ses yeux sont magnifiquement expressifs.
Vive comme un chaton sauvage, toujours en mouvement, elle joue avec les garçons, câline son jumeau de qui elle est inséparable, assume avec légèreté toutes les nombreuses corvées de la vie nomade.
Le monde de ses frères l’enchante.
Trop occupée, elle ignore qu’elle est si jolie…et oublie de marcher en se dandinant comme les demoiselles bonnes à marier.
En 1945, au nord d’Aousserd, dans ce paysage fabuleux du désert de Tiriss, deux campements de tribus se croisent, s’invitent.
Mohamed Abderrahmane Dahmane de la tribu des Ouled Bou Sba remarque immédiatement cette jolie apparition. Elle a 14 ans, il en a 19…
C’est déjà un homme complet. Outre l’art de la Méharée, il a approfondi l’enseignement coranique, s’exerce à la calligraphie et à la poésie et le travail des métaux n’a pas de secret pour lui.
Un soir au cours d’une joute musicale, il donnera un quatrain magnifique, véritable bijou de poésie amoureuse à chanter au griot sur la beauté de Fatima.
Étonnée et confuse, elle découvrira, le cœur battant, sous les notes du Tidinit, que c’est pour elle que le cœur de Mohamed Abderrahmane chavire.
Ils se marient. Cinq enfants naissent, trois garçons et deux filles.
Mohamed Abderrahmane est devenu Fqui. Il est unanimement respecté.
Fatima l’observe de longues heures . Elle est si fière de cet époux qui sait tant de choses.
Ahmedjaid, son aîné, 13 ans au prochain printemps, est fasciné par la dextérité du père et s’exerce aussi à l’artisanat.
Khatri, ah Khatri…12 ans, il est le portrait vivant du frère chéri de Fatima…Khatri intrépide, collé à son père et qui veut faire tout comme lui…

L’année 1969, Fatima ne pourra jamais l’oublier…
Cette année-là, Mohamed Abderrahmane part avec Khatri vers un puits où s’abreuvent leurs chameaux. La scène n’a pour témoin que de jeunes enfants.
Ils diront que l’homme a glissé, qu’il se débattait dans l’eau noire et que Khatri, impuissant a sauté, qu’il a tout fait pour sauver son père et que les deux se sont noyés…
Fatima est face à son destin. Elle doit élever 4 enfants dont le plus grand n’a pas tout à fait 15 ans et le dernier, Mohamed…3 ans. Et deux petites filles de 10 et 8 ans…
Elle pourrait faire ce qu’auraient fait la très grande majorité des Femmes Sahraouies dans son cas, se remarier. Car la société Maure ne fait des parias, ni des veuves ni des divorcées. Bien au contraire, leur statut les valorise.
Mais le souvenir de Mohamed Abderrahmane Dahmane l’habite toute entière. Elle ne donnera pas un successeur à ses enfants.
Les prétendants ne manquent pas… mais cette Pénélope des temps modernes, avec une détermination sans faille, un courage têtu, a décidé que le temps, la distance et l’absence n’existaient pas !
Elle attend le moment de serrer dans ses bras ses deux amours, Mohamed Abderrahmane et Khatri, partis vers les grandes dunes, un matin de lumière…
Khatri et Mohamed dont l’absence a creusé un gouffre permanent au creux de ses entrailles.
Progressivement Fatima va retrouver tous les gestes qu’elle a vu faire à son époux, être digne à tout prix, de son souvenir.
Peu à peu à sa suite, elle devient pleinement le chef de foyer.
Alors naît un projet. Son aîné Ahmedjaid dans le silence et la douleur de la tragédie, a déjà pris sa place de soutien, il ne la quitte guère et se dirige lui aussi vers l’artisanat scrupuleux.
Non il ne surpassera pas la sainte figure du disparu mais ses mains agiles avec constance, répareront tout ce que les hommes vont lui donner, fer blanc, cuivre, bois… Réparer tout entier investi dans sa tâche, dans le scrupule de chaque geste…ce sera la manière d’Ahmedjaid pour soulager le coup de poignard du destin …
Les filles trouveront en grandissant naturellement, leur place de femmes et de mères dans la société, mais Mohammed, 3 ans si petit, Mohamed qui porte le prénom et le nom de son père…
Mohamed Dahmane, cette page vierge pas encore calligraphiée…
La décision est prise, Lalla Fatima Oumoussa fera de son fils un savant, un Docteur. Le summum des études, et ce docteur-là ira loin et haut dans la société. Voila son projet!
Alors l’artisanat, la production des objets, les lèvres serrées, le geste concentré, le regard tourné vers l’intérieur, seront sa vie pour toujours.
Son travail, apprécions le dans ce qu’il a de tendre, de précis, de joli, de soigneux, d’élevé parce que c’est une prière au Bon Dieu !
Chaque geste de Lalla Fatima construit un destin avec cette litanie silencieuse : « Mon fils sera docteur, mon fils sera docteur, mon fils sera docteur …»
Lalla Fatima Oumoussa est la maman du Docteur Mohamed Dahman, docteur en Sociologie, auteur d’une thèse très affutée sur la vie des nomades et leur sédentarisation…
Elle représente l’artisanat de Dakhla y compris dans des voyages officiels à l’étranger.

A 87 ans, elle continue jour après jour son travail d’artisanat dans l’échoppe où l’on peut la rencontrer au centre-ville de Dakhkla.
Ahmed Jaid son aîné est dans l’échoppe mitoyenne et veille silencieux…
Toute sa famille, enfants et petits-enfants, entoure avec dévotion, l’ancêtre si précieuse qui leur a montré le chemin du courage, de la volonté, de l’abnégation et de la fidélité.
En 2008, Lalla Fatima Oumoussa avait la douleur de perdre Tarla, sa fille aînée, décédée d’une crise d’asthme, asphyxiée par ces grands sentiments humains qui vous marquent et que l’on ne dit pas.
Un mois après son petit-fils, Mohamed, fils de Tarla, mourrait lui aussi d’une crise d’asthme, ne supportant pas l’épreuve immense d’avoir perdu sa mère.

Bled Al Baïdane, monde des Bédouins …ces âmes d’acier qui résistent à la minéralité du désert et que les chagrins d’amour peuvent tuer...