LES « CHIBANIS » DE FRANCE

Entretien avec Zineb Doulfikar, la directrice du l’espace social « Les Chibanis ».

Par : Fouzia Benyoub

A l’origine de l’espace social « Les chibanis » une Franco-Marocaine, Zineb Doulfikar, Assistante sociale de formation et aujourd'hui directrice de l'association, Zineb est une pionnière dans le domaine. Ayant commencé à travailler en direction des vieux migrants dès les années 1990, Zineb ne veut pas se substituer aux services sociaux français. Son association joue le rôle de médiateur et de relais socioculturel. Entretien :

Comment est née l’idée du l’espace social « les Chibanis » ?

Dès 1993, dans le cadre de mes fonctions d’assistante sociale auprès d'immigrés du 3ème âge. Le  projet de créer un lieu d’écoute, d’échange et de partage a germé dans ma pensée.  Lors de mes rencontres avec les personnes immigrées et avec les partenaires sociaux de la ville de Nice, nous avons constaté qu’y avait une attente très forte en matière d’accompagnement. L’idée d’un espace social ou précisément un « lieu ressource consacré aux migrants âgés »  répond donc à un besoin réel.  La création d'un espace convivial, de parole et d'écoute vise à rompre avec l'isolement et la solitude que vivent ces personnes au quotidien. Les « Chibanis » a permis à cette population si « silencieuse » qui fait partie des exclus de se retrouver  autour de plusieurs initiatives qui se sont avérées nécessaires au quotidien. Notre équipe s’emploie donc à répondre à des attentes à la fois humaines et sociales et je veux ici rendre un hommage particulier à Mustapha EL Haffaoui, animateur socio-culturel et  cheville ouvrière de notre association.

Quels sont vos soutiens, notamment financiers ?

Notre initiative a bénéficié du soutien de la DASS (Direction des affaires sociales et sanitaires) et de l'Agence Nationale pour la Cohésion Sociale et l'Egalité des Chances (Acsé), sans laquelle elle n'aurait pu voir le jour. Car sans appui financier, il est impossible de réaliser un tel projet. Je souhaite ici aussi mentionner l’aide apporté par les services de la Ville de Nice et son maire M. Christian Estrosi à nos actions. Sans oublier tous nos partenaires français et marocains.

Quelle est la situation sociale de ces personnes que vous accueillez dans votre espace ?

Les immigrés retraités n'ont pas de lieu de rencontre, souffrent de la précarité et l’isolement. N'ayant rien à faire de leur journée, ils traînent dans les rues de la ville, se retrouvent  dans les jardins publics ou s'attablent à la terrasse d'un café et y passent la demi-journée devant une consommation. Certains cafetiers ont fini par ne plus les admettre dans leur établissement. Leur mode de vie entre ici et là-bas est à prendre aussi en compte, car il constitue un frein à un accompagnement social régulier. Les absences répétées du territoire français sont à l’origine des problèmes d'ordre administratif ( versement des pensions et prestations, suivi médical, logement etc.) S’ajoute à cela les difficultés linguistiques et une quasi-absence des loisirs.

S’agissant du logement, ils partagent souvent à plusieurs la même habitation. La promiscuité et l'absence d'intimité font partis de leur quotidien, ce qui est difficile à supporter. Pour beaucoup d'entre eux, ils vivent un célibat forcé  trop longtemps prolongé. L'isolement des immigrés marocains âgés se manifeste également à travers leur faible insertion sociale et culturelle.

Quelles sont donc les actions menées par l’équipe des « Chibanis » ?

Je souhaite souligner que l’espace accueillant « les Chibanis » est aménagé d’une manière conviviale et pratique. Nos activités sont ouvertes à tous. Notre équipe est présente toute l’année pour accueillir, écouter, accompagner, instruire les dossiers administratifs et sociaux. Les activités sont diverses et variées. Le café social permet de partager des moments de convivialité (jeux de société, repas, projection de documentaires et de films, lecture des journaux, etc.) Des soirées débats avec projection de films maghrébins sont programmées,  une grande majorité de cette population n'ayant pas les moyens d'aller dans une salle de cinéma et rencontrant un problème de compréhension de la langue française. Le but de cette activité est de leur donner la possibilité de s'exprimer librement  sur des sujets de société.

Que peut faire l’Etat marocain pour d’alléger la souffrance de ses migrants âgés ?

Je souhaite rappeler que le CCME avait organisé une rencontre en mai 2009, à laquelle j’ai participé sous le thème «  Vieillir dans l’immigration : quel statut et quelle prise en charge des Marocains vieillissants ? ». Un état des lieux a été fait sur le sujet et des recommandations ont été élaborées. J’espère que des actions vont voir le jour en direction de personnes âgées dans les pays d’accueil en Europe et ailleurs.