L'Observatoire des ChibAnis et ChibAniyates- مدونة خاصة بالاشخاص المسنين

lundi 10 septembre 2012

Dossier: Maisons de retraite au Maroc


MAISONS DE RETRAITE: COMMENT LE MAROC S’EST DÉCOMPLEXÉ
LA LOI 14-05 A PERMIS UNE MISE À NIVEAU DE LA PLUPART DES CENTRES
DISLOCATION DE LA CELLULE FAMILIALE
QUID DE L’AIDE DE L’ETAT?

Maisons de retraite: Comment le Maroc s’est décomplexé
Du jour au lendemain, des personnes âgées voient leur vie basculer et il y a énormément de choses à faire pour qu’elles puissent vivre encore dans de bons moments. Ce sont des adultes qui doivent être respectés...
      
Manque de structures d’accueil, de ressources financières et de structures de santé spécifiques: c’est le constat du vieillissement de la population marocaine. Pour pallier ce manque, l’Initiative nationale du développement humain (INDH) a permis, entre autres, à plusieurs centres pour personnes âgées nécessiteuses de voir le jour. Ces institutions qui existent dans les différentes régions du Royaume relèvent soit de l’Entraide nationale, soit de la Fondation Mohammed V pour la solidarité ou sont gérées par des associations. La loi 14-05 réglementant les conditions d’ouverture et de gestion des établissements de protection sociale a permis une mise à niveau de la plupart des centres, et donc une amélioration de l’offre de services.
Il importe de rappeler que feu Hassan II a dit que «le jour où l’on ouvrira la première maison de retraite au Maroc, notre société sera en voie de disparition». Car la religion impose le respect et le devoir de venir en aide aux parents et aux grands parents. Seulement, les choses ont évolué et, avec la cherté de la vie, il est devenu difficile d’imposer la charge des grands-parents aux enfants. Il arrive parfois à ce que des hommes et des femmes soient démunis, n’ont pas de familles et sont donc délaissés. C’est là où le besoin devient réel. «La solidarité et la cellule familiale se disloquent», de l’avis de Mohamed Saidi, directeur général de l’association Nour pour la protection sociale Anfa-Aïn Chok (ex-Association musulmane de bienfaisance). A noter que pour les besoins de notre enquête, nous n’avons pas pris de rendez-vous au préalable et la direction de l’association nous a permis de visiter les locaux la matinée même de notre prise de contact. On est tout de suite pris, et avouons-le surpris par la grande propreté des lieux. Rappelons qu’avant la visite royale en avril 2005 à l’orphelinat de Aïn Chock, la maison des personnes âgées était comme un mouroir où les gens venaient attendre que leur heure sonne. Aujourd’hui, l’association Nour fait de son mieux, et le fait bien, pour prendre en charge les 38 pensionnaires (hommes et femmes). C’est après avoir rempli une demande suivie d’une enquête minutieuse que les pensionnaires sont accueillis dans cette association. Parmi les critères d’admission: ils ne doivent pas avoir d’enfants ni de familles. Ils sont acceptés directement au-delà de 60 ans. L’association étudiait (au moment de notre visite) quatre demandes d’hébergement de femmes et 20 lits étaient toujours vacants pour les hommes.
Pour changer les choses, la nouvelle direction a obtenu 1,5 million de DH dans le cadre de l’INDH pour construire l’aile des femmes qui n’existait pas auparavant. Les deux ailes (hommes et femmes) sont séparées aujourd’hui et une directrice s’occupe du centre ce qui rassure les pensionnaires en cas de problèmes de santé. Un autre constat, les femmes sont plus nombreuses que les hommes. Elles sont plus vulnérables et sont les plus délaissées, est-il expliqué. Leurs enfants viennent les voir de temps en temps et parfois même ils ne se manifestent hypocritement qu’après leur décès.
Des enquêtes avaient déjà relevé que nos vieux sont pour la plupart des analphabètes, des pauvres et sans couverture sociale ni médicale. De surcroît, ils souffrent «de la plus grande solitude». Celle de se retrouver chaque jour, chaque nuit que Dieu fait, seuls face au vide qui s’est installé dans leur vie. Pour certains, il ne leur reste que les souvenirs qu’ils ressassent, ressassent et ressassent encore à longueur de journée quand leur mémoire fonctionne encore, pour meubler ce vide pesant.
Pour remédier à cette situation, l’association Nour fait de son mieux pour les aider. «Elle n’est pas une maison de retraite puisque l’accès n’est pas payant. C’est l’association qui supporte les frais médicaux, l’hébergement, la nourriture et l’habillement.

.», indique Mohamed Saidi. Il y a une ambulance mise à la disposition des pensionnaires. Au mois de Ramadan, les bienfaiteurs se bousculent pour venir leur offrir le déjeuner, le dîner et ils doivent prendre des rendez-vous tellement les gens affluent vers l’association. Comme activités ludiques, l’apprentissage de la peinture et des travaux manuels leurs sont proposés. Les personnes âgées font des sorties, des excursions, des achats dans des centres commerciaux, assistent à des fêtes avec des animations et ils lisent le Coran… Elles sont sensibles et ne veulent pas se sentir exclues de la société. Quoi de plus dur et plus pénible que de se sentir en marge de la société ou marginalisé par les autres surtout quand c’est l’œuvre de vos proches?
L’Etat marocain vient aussi en soutien aux personnes âgées. C’est à Mohammedia que le Souverain a inauguré, début août, un centre de protection sociale pour personnes âgées. Il a comme objectifs la prise en charge au niveau de l’hébergement, de la restauration, de la protection sanitaire et du bien-être général des personnes âgées sans ressources, sans domicile fixe et sans soutien familial. Il contribuera ainsi à leur insertion, à leur protection et à l’amélioration de leurs conditions de vie. A l’instar de celui réalisé par la Fondation Mohammed V pour la solidarité à Rabat, le centre, qui permettra également de contribuer à la lutte contre la mendicité, développera un «Observatoire régional des personnes âgées vivant en situation de précarité» en vue de l’instauration d’un système de veille et de protection de cette catégorie sociale démunie.
Le centre de protection sociale des personnes âgées, mitoyen de celui destiné à la mère et l’enfant, dispose d’une superficie couverte de 1.553 m² abritant dix chambres d’une capacité de 44 places (22 hommes et 22 femmes), deux chambres d’accompagnement interne et une salle du Samu social. S’ajoutent à cette liste une cellule d’accompagnement social externe, un réfectoire, une cuisine, un économat, deux chambres froides et un vestiaire. Sans oublier la salle de prière, deux salons traditionnels, deux hammams, une infirmerie, un hall d’accueil, deux bureaux, une buanderie et des blocs sanitaires.  Le centre pour personnes âgées a été réalisé pour un coût de 7,8 millions de DH financés par la Fondation Mohammed V pour la Solidarité avec l’appui financier de l’INDH. Il existe aussi un centre social à El Hank à Casablanca où sont regroupées les personnes âgées, principalement des mendiants et des SDF, au cours de la journée avant leur transfert au centre de Tit Millil d’où ils s’évadent souvent.

Fatim-Zahra TOHRY

Dossier: Maisons de retraite au Maroc.


«L’ACCUEIL DU JOUR, UNE SOLUTION POUR LES FAMILLES MAROCAINES»
ENTRETIEN AVEC SYLVIE BELAKBIR, DIRECTRICE DE LA MAISON DE RETRAITE DU SOUISSI À RABAT
LE BESOIN EST RÉEL, MAIS LES INVESTISSEURS SE HEURTENT À DES OBSTACLES
LES FAMILLES MAROCAINES NE POURRONT PAS PRENDRE EN CHARGE LES FRAIS

«L’accueil du jour, une solution pour les familles marocaines» Entretien avec Sylvie Belakbir, directrice de la maison de retraite du Souissi à Rabat
«Il existe plusieurs demandes pour créer des maisons de retraite vu le besoin qui se fait sentir auprès de la population marocaine. Mais les projets n’aboutissent pas»
      
- L’Economiste: Est-il facile d’ouvrir une maison de retraite au Maroc et est-ce que les investisseurs sont intéressés par ce genre de projets?
- Sylvie Belakbir: Il existe plusieurs demandes pour créer des maisons de retraite vu le besoin qui se fait sentir auprès de la population marocaine. Mais les projets n’aboutissent pas. Les investisseurs prospectent seulement le terrain pour voir l’intérêt à créer ce genre de structures. L’envie est là, mais ils ne sont pas sûrs que les familles auront la capacité de payer les charges. En tant qu’association, nous recevons des aides et des protections qui n’existent pas pour les Marocains.
De plus, nous exigeons certaines conditions d’entrée (CFE, caisse sociale, aides de la caisse française de l’étranger…). Si nous créons une maison de retraite pour les Marocains, seule une catégorie de personnes privilégiées va pouvoir payer. Pour combler le vide, l’Etat peut créer des maisons de retraite ou des centres sociaux pour personnes âgées comme c’est le cas à Ennahda. Mais les budgets restent très restreints avec des conditions très difficiles.
- Est-ce qu’il y a un cadre ou loi qui régit les maisons de retraite au Maroc?
- Non et tout reste donc à faire. Les familles ne pourront plus prendre en charge les personnes âgées et le besoin auprès de la société marocaine évolue. J’en parle parce que ma belle mère est Marocaine et je vis au Maroc depuis les années 80 et je vois les choses évoluer. Je me rappelle que ce sont les familles qui préparaient les gâteaux pour les mariages et toutes les femmes se réunissaient ce jour-là. Aujourd’hui, tout est confié à un traiteur. Nous assistons à la disparition du système de solidarité familiale. Mais ce n’est pas un reproche puisque la femme travaille et c’est devenu impossible de prendre en charge un malade atteint d’Alzheimer. S’ajoute à cela l’étroitesse des appartements.
- Les Marocains n’acceptent pas l’idée de mettre leurs parents dans les maisons de retraite?
- Et pourtant nous recevons des appels et des demandes. Il faut créer des accueils du jour comme un système de crèche pour les enfants. L’accueil du jour peut être une solution au départ pour soulager les familles marocaines. La population vieillit et la problématique de l’hébergement va se poser que ce soit pour les Marocains ou les étrangers. C’est bien que ces derniers viennent parce que cela assure l’entrée de devises, mais qu’est-ce que nous préparons pour eux… L’absence d’une loi-cadre n’arrange par les choses.
- Les spécialités en gériatrie se développent-elles au Maroc?
- Effectivement et cela grâce à certaines associations comme Maroc Alzheimer. Les spécialités existent aussi dans des hôpitaux avec des centres pour les personnes âgées et des neurologues spécialisés. Des formations sont aussi assurées pour s’occuper des personnes âgées atteintes de lourdes pathologies.
Il faut créer des structures dans les grandes villes, mais là aussi les prix du foncier posent un grand frein.
- Quelles sont les spécificités qui caractérisent la vieillesse?
- La fatigue et le handicap entraînent les personnes âgées dans un isolement. Il y a le regard de l’autre aussi. Pourquoi ne pas penser à un partenariat avec des écoles maternelles où les personnes âgées pourront lire des histoires aux enfants.
«C’est la fin d’un tabou!», Dr Aboubakr Harakat, psychologue et sexologue
- L’Economiste: Les personnes âgées seront-elles les plus affectées par la disparition de la solidarité familiale?
- Dr Aboubakr Harakat: La société marocaine évolue et change. La société de 2012 n’est pas celle des années 1980. Feu Hassan II était entièrement contre l’ouverture d’une maison de retraite parce que cela déséquilibrerait la société marocaine et les valeurs sacrées de solidarité seraient remises en cause. Maintenant, il y a des maisons pour les vieux et nous pouvons les appeler des centres pour personnes âgées ou autres
- La famille nucléaire est-elle la plus répandue?
- Les statistiques du HCP peuvent montrer l’existence de la famille nucléaire et est plus répandue que la famille élargie. De toutes les façons, la famille nucléaire est le monde dominant dans le Maroc d’aujourd’hui et le sera encore dans quelques années et le reste va avec. Donc, il faut accepter l’idée que les parents ne peuvent plus vivre avec leurs enfants à un âge avancé. Il n’y a personne pour s’en occuper et il faut les mettre dans les lieux où ils seront «mieux». Je ne sais pas est-ce que nous pouvons les appeler maisons de retraite au Maroc. C’est une retraite de quoi?
- C’est la fin d’un tabou?
- Le tabou est basculé depuis des décennies. Les Marocains dans leur majorité ont encore du mal à accepter l’idée mais c’est quelque chose qui s’invite progressivement avec l’évolution démographique.
Propos recueillis par Fatim-Zahra TOHRY